Mon pied franchit presque le mur du son alors qu'il atteint sa cible. Un pauvre champignon, victime de ma rage et de ma frustration.

Je peux même pas lancer la flèche acide de Melf ? Rhaaa !

Je hurle ma peine à qui veut bien l'entendre. Le vent, les collines au loin. L'arbre endommagé. Pas grand en somme. Pourtant j'étais sûr de mon coup.

Récapitulons : les règles du jeu ont changées. Je suis maintenant dans un univers où la magie existe. Mon pouvoir est basé sur l'univers de DnD, ce qui m'arrange plutôt parce que je connais ça sur le bout des doigts et en plus c'est le summum de l'épique sur terre. Je ne peux que lancer des sorts dans mon "grimoire". J'ai essayé de lancer le sort d'armure de mage, il ne s'est rien passé. Jusque là, cela peut être encore logique. Je ne dois a priori pas mémoriser mes sorts, ce qui me rapproche plus du barde ou de l'ensorceleur que du mage, malgré la présence du livre de sorts. Par contre, le sort flèche acide de melf EST dans mon grimoire. Et pourtant je n'arrive pas à le lancer.

Je marmonne dans ma barbe métaphorique et je m'arrête devant l'arbre qui m'a servit de cible. J'ai lancé le sortilège une dizaine de fois, dans des conditions différentes. Mes doigts parcourent les différents impacts qui trainent dans le bois. Je considère de manière rêveuse les trous dans le tronc. Une hache n'aurait pas fait mieux. Et c'est particulièrement régulier. Comme si une constante était à l'oeuvre.

Les sorts de niveau 2 sont lançables normalement niveau 3. Et comme j'envoie 3 projectiles magiques, je devrais être niveau 5. Il y a une incohérence. J'en déduis que le système n'est pas le même. Je vais le simplifier : je peux utiliser des capacités dans mon grimoire. Je dois en "libérer" certaines, ou remplir des conditions que je ne connais pas, avant de pouvoir en lancer d'autre. Je dispose vraisemblablement d'un set de caractéristique qui régissent ces capacités. Je lance systématiquement trois projectiles magiques. Mon degré de fatigue ou de concentration ne change rien. Si je me basais strictement sur l'univers DnD, j'en lancerai soit un projectile unique soit le maximum dans la littérature - à savoir cinq ou neuf, selon la version. Mais pas trois. Comme j'ai déjà déterminé que cela n'était pas dépendant de mon niveau, j'en déduis que c'est dépendant d'une certaine "puissance magique".

Je ferme les yeux et je tente de lancer le sort. Sans succès. Je réouvre les yeux et je le lance trois fois d'affilés. A chaque fois, je sens la puissance sortir de mon corps, se concentrer dans ma main avant de quitter mon corps et de prendre forme. Je me sens également... fatigué après l'exercice.
Sensation de fatigue. Il est fort probable que je tire la magie d'une réserve qui se remplit à une vitesse inconnue. Note à moi-même : poursuivre cette expérience une fois dans un environnement sécurisé pour savoir la taille de cette réserve et sa vitesse de régénération. Deuxième note à moi-même : procéder à cette expérience sur un être vivant pour vérifier l'existance d'une réserve de vitalité. Si possible, un PNJ qui ne donne pas de quête et qui n'est pas un membre d'une guilde ni commerçant. Je dois vérifier si la physique s'applique réellement ou non, ou si ce n'est que partielle comme dans un jeu vidéo.

Je m'assieds et j'ouvre mon grimoire. Je constate que certaines de mes notes et de mes suppositions sont inscrites dans les dernières pages, ce qui atteste que ce grimoire est bel et bien une partie de moi-même. Je le feuillète et je le parcours. Il y a des informations très sommaires sur ce monde. Cela parle par exemple des trois royaumes, de l'existence d'artefacts puissants connus sous le nom de "régalias" et de sortes de divinités protectrices. La tortue, le tigre, le dragon et le phénix. Je crois que c'est un élément de mythologie asiatique sur des bêtes protectrices, associés aux points cardinaux. Toutefois, difficile d'en avoir la certitude. Quelques part, cela confirme qu'il y a un lien entre le vrai monde et celui-ci, bien que ce lien soit trop complexe pour moi. Mieux vaut pas trop se prendre la tête, et plutôt... faire la fête ! Mes yeux arrivent au bestiaire. Il est très petit. Très classique. On y parle de gobelin, d'elfes, de voleurs et d'un dragon. C'est trop bref pour une quête. Et un monde aussi vaste ne possède certainement pas si peu de créatures. Et si...

Mes yeux s'allument d'une vivacité de compréhension. J'ai un sourire aux lèvres avant de me lancer dans un rire maléfique. Muhahahahaha !

Avant de poursuivre mes recherches sur mes pouvoirs, je pars en rapide exploration d'un village voisin. C'est que j'ai faim. J'échange mon pull à capuche contre quelques bouchées de pains, et le restant de mes vêtements contre une robe de mage. Ce n'est pas le plus pratique pour bouger et courir dans tous les sens, j'admets. Toutefois, si je suis un mage dans ce monde, je me dois d'y ressembler. D'avoir un minimum la classe. La robe n'est pas de super qualité. Pour être franc, on peut faire mieux, et elle ne tient pas super chaud. Elle servira pour le moment. Je repars dans mon endroit désertique en sautillant de joie. Je dois juste traverser une petite forêt et un champs de blé. Je ne croise qu'un paysan, et quelques oiseaux.

Je suis un mage ! Mais il est possible que je suis encore bien plus que cela. Héhéhéhé.

J'arrive enfin au lieu dit. Je vois l'arbre avec ses fissures. Oui, le premier test. Il s'agit maintenant de procéder à la seconde grande expérimentation. Je m'éclaircis la gorge et je tends les bras. J'entends le vent siffler au lieu dans des feuilles. Je le sens glisser dans mes cheveux empêtrés. Il s'engouffre dans les replis de ma robe. A part cela, rien. Aucun mouvement autours de moi. Je m'imagine avec une grande audience, tandis que je prononce ces mots de manière théâtrale.

Par mes pouvoirs qui me sont conférés... En vertu du manuel du MJ et de l'essence des Atlantes. Par la règle de trois, le nombre d'or et le diamètre de l'hypothénus. J'invoque une horde de gobelins pour satisfaire à mes besoin !

Et là, à quelques mètres devant moi, je vois un tourbillon de poussières, de cendres, de matières éparses se rassembler en une dizaine de petits points. Je concentre ma magie, et je maintiens ce lien tandis que ces points grossissent. Ils deviennent des embryons verts et bruns. Une odeur se répand autours d'eux. Ils grandissent jusqu'à prendre la taille de petits enfants difformes. Ils sont vêtus, heureusement, et armés de dagues, de couteaux et de pieds de chaises. Ils ricanent affreusement dans un concert cacophonique.

"Boss ! Boss !"
"On fait quoi, chef ?"
"Hé, ne me pousse pas toi !"
"T'as une seule gueule haha !"
"Je parie que je crache plus loin que toi !"

J'ai une larme à l'oeil tandis que je contemple, bouche bée, ma première horde de gobelins. J'en ai tellement zigouillé en tant qu'aventurieux. Le terme génocide semble approprié. Et voilà que maintenant, je suis un peu comme leur maman. Je peux les invoquer. Je ne suis pas uniquement mage, mais également un invocateur. C'est plutôt excellent je trouve, les invocateurs ont toujours eu une classe internationale. Ils maitrisent en quelques sortes le domaine de la vie. L'opposé des nécromanciens. En outre, la supériorité numérique, y'a que ça de vrai. Et ils m'ont appelés Boss ! Je suppose qu'ils m'obéissent au doigt et à l'oeil.

"Ha j'ai craché trois centimètres plus loin !"
"Tricheur !"
"J'aime pas ton gros nez."
"Tu sais ce qu'il te dit mon gros nez ?"
"Je m'emmerde."
"Il fait quoi le boss ?"

L'émotion m'étreint. Je me sens comme une maman. Une maman gobelin. Je pourrais peut-être fonder une légion de gobelins, prêts à ravager les territoires. Je serais ... le roi des gobelins. Ils me traiteraient en dieu vivant, et ils seront mes esclaves. Un dieu... Ou encore, je pourrais me faire un donjon dans un coin paumé, et le remplir de gobelins. Ils tueraient les aventuriers et je récupérerais leur matos. Comme cela serait excitant ! Et puis la réalité me brise soudainement mes illusions. Les gobelins ont réussit, en moins de dix secondes, à commencer une bagarre générale. Apparemment, ils ont fait un concour de crachat d'un côté qui a finit sur la tête du gros gobelin qui s'ennuyait et qui a trouver drôle de lancer un concours de "j'écrase mon pied de chaise sur ton crâne". Parallèlement, deux autres gobelins se poussaient mutuellement et après quelques insultes se sont empoignés et commencé du catch ultra violent dans une flaque de boue. Je crois qu'un des deux est en train de se noyer. Et les autres se bourrent des coups de poings dans le nez. Je n'ai absolument pas compris pourquoi par contre, j'espère que ce n'est pas un concours de beauté. Ma capacité de raisonnement vient d'atteindre ses limites.

"STOP !"

Mon crie vient du coeur. Et après quelques coups perdus, les gobelins se rangent tous au garde-à-vous devant moi. Tous, sauf celui qui s'est vraisemblablement noyé dans la flaque de boue. Il ne fait même plus de bulles, ce qui indique avec certitude sa mort. J'écrase une larme en mémoire de mon premier gobelin mort, baptisé dans la boue et le sang. Cela ne sera certainement pas le dernier. Je parcours les rangs. Ils n'ont pas l'air très intelligentes. Ils n'ont pas l'air costaud. Ils n'ont même pas l'air effrayants. Plus grotesque qu'autre chose en vérité. Toutefois... Toutefois, c'est un début. Ma première armée. J'ai un large sourire aux lèvres tandis que je commence à leur expliquer mes REGLES. Qu'ils tapent sur des vieilles mémés inoffensives et non sur des frères peaux-vertes, par exemple.

Je leur fait ensuite signe de me suivre. Il est temps de commencer les chroniques de... John Smith.